La télé réalité n'est pas une expérience sociologique.

Publié le par Masked Ball

http://www.idf1.fr/blogjjda/wp-content/uploads/2009/06/benjamin_castaldi_0005_benjamin_castaldi05.jpgSelon certaines déclarations de Benjamin Castaldi (producteur et présentateur de Loft Story, Secret Story...), la télé-réalité aurait des vertus expérimentales. Ce dernier avait déclaré dans la presse (Télé-Loisir si mes souvenirs sont bons), que malgré les excès de certaines émissions, la télé-réalité pouvait être vue comme une étude des rapports humains soit une expérience sociologique. Il faut comprendre que la télé-réalité est l'antithèse de l'expérience sociologique. Elle n'a rien d'empirique et ne fait que créer des situations artificielles et programmées. De plus les membres sont triés sur le volet suite à des castings et ne représentent en aucun cas les rapports sociaux routiniers entre des personnes emprises à leur contexte. Concrètement, il n'arrive jamais dans la réalité que des inconnus choisis pour leur excentricité ou leur particularité, soient enfermés plusieurs semaines dans un lieu restreint et filmés par des caméras. En effet, Claude Levi-Strauss avait lui-même essayé de filmer les indiens Mundé et Tupi Kawahib et affirmait que la caméra ne faisait que détourner les comportements routiniers de ces derniers. La plupart des sociologues, anthropologues et ethnologues s'entendent sur ce sujet. La présence du chercheur influe obligatoirement sur son objet d'étude et c'est pour cela que les sciences humaines n'aboutissent jamais à un travail totalement objectif. Alors imaginez la présence de toute une équipe de production, de caméras et de micros et des scènes massivement diffusées... En plus d'être artificielles, les situations filmées sont influencées par la programmation des producteurs et par la volonté de l'audimat, vous l'aurez compris, la télé-réalité ne peut nullement être utilisée à des fins scientifiques. Le sociologue se doit de s'immerger dans un groupe/une population en suivant un protocole long et complexe conforme à une déontologie stricte afin de ne pas influencer son objet d'étude tout en l'observant.

 

TF1 propose en ce moment une émission qui s'intitule "Bienvenue dans ma tribu". L'objectif est d'implanter des familles françaises dans des tribus. Il n'y a ici aucune vertu antrophologique et l'orientation de TF1 est purement ethno-centrique. L'émission est ponctuée de commentaires évolutionnistes (nous sommes en 2010, c'est bien triste...) visant à montrer "le spectaculaire" (plats atypiques, traditions ancestrales...). En sommes, TF1 recompose le vieux schéma Homme "civilisé" vs Homme "primitif" (qui est caduque depuis plus de cinquante ans dans le monde scientifique et considéré comme insultant  ), exposant les Hommes de tribus comme "des individus arriérés aux coutumes farfelues et exotiques" (Vous comprendrez bien ici que ces termes ne reflètent pas mon point de vue mais bien celui des producteurs). La voix off dit clairement que les familles sont loin du confort. Mais que signifie le confort ? Le confort est ressentit par celui qui le vit et est relatif selon le contexte, dormir sur des paillasses et vu comme inconfortable par la production, tout d'abord il est fort possible que cette paillasse soit rajoutée par la production elle-même pour accentuée le stéréotype et deuxièmement si les paillasses sont considérées comme confortables par les individus en fonction de leurs techniques du corps propres à leur tribu, alors il n'y pas lieu de parler de "non confort". TF1 en plus de ne pas proposer une expérience anthropologique, alimente les représentations racistes de l'Homme occidental censé être plus avancé technologiquement que les organisations tribales. Les premiers anthropologues étaient évolutionnistes et ciblaient leur études sur les populations éloignées afin de répondre aux envies des élites à la recherche du sentationnel et du spectaculaire. Deux siècles plus tard, TF1 n'a toujours pas rompu avec ça et propose ce "spectacle" aux classes moyennes et à une audience beaucoup plus large


Koh Lanta est dans la même lignée. Le jeu consiste tout simplement à "jouer les pauvres" pendant des semaines, c'est bien là une idée de "riche" que de se priver volontairement pour passer à la télévision (Je ne parle pas là des candidats choisis mais des concepteurs de l'émission). Les candidats vantent les mérites de cette "expérience", prétendant avoir reçu un leçon d'humilité en goûtant à la privation. Or les conditions d'insalubrité et de manque sont factices et ils n'ont pas expérimenté une vie de privation mais une situation simulée, produit d'une fausse représentation. Colette Pétonnet disait : "La pauvreté ne se décrit pas, elle se vit", et en aucun cas Koh Lanta recréer les vrais conditions de la pauvreté.

 

La télé-réalité reproduit aussi la vieille tradition du public décidant du sort de l'esclave ou du gladiateur. Le vote par téléphone consiste à éliminer médiatiquement (mort médiatique) un candidat si celui-ci ne les divertit pas assez. Un faux pouvoir déjà présent dans les colisées de l'antiquité.

J'aimerais aussi faire référence au film "Salo et les 120 journées de Sodom"(1976). Outre les scènes obscènes duhttp://www.cine-files.com/cinemaniacs/photos/2001/09/salo1.jpg long-métrage, on y trouve un vrai message qui n'a jamais été autant d'actualité. Pasolini met en scène des jeunes gens abusées sexuellement qui subissent torture, viol et actes avilissants. Pasolini montre ici jusqu'où l'être humain est capable d'aller, de subir et de faire subir lorsqu'un pouvoir, une autorité en place le permet. Il critique ainsi le fascisme et les dictatures mais également la société de consommation qui conditionne l'individu à subir n'importe quoi (comme la pénibilité au travail et les conditions insalubres) pour pouvoir consommer. Aujourd'hui, la télé-réalité propose un spectacle où des gens subissent des maltraitances (l'émission de W9 "Dilemme" imposait à une jeune femme d'être tenue en laisse et de manger comme un chien (avec de l'argent en compensation), une scène déjà présente dans le film de Pasolini). La visibilité médiatique serait-elle devenue le nouveau pretexte légitimant les humiliations ? Le spectateur est aussi complice de cette situation, voyeuriste, à la recherche de l'atypique qui le conforte dans sa vie conforme. La télé réalité a donc aussi un pouvoir normatif, en voyant des situations extraordinaires, absurdes, déviantes, le spectateur se moque et s'efforce inconsciemment de ne pas reproduire les mêmes pratiques au risque d'être stigmatisé. Ceux qui participent à ces émissions sont pointés du doigt, mis en évidence dans leur marginalité.


Publié dans Médias & co

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P
<br /> Je trouve ton analyse très pertinente et je pense que tu n'es pas le seul à partager ce point de vue sur les dérives de la TV réalité qui sont liées à la fois à la nécessité d'assurer l'audimat des<br /> chaînes privées (c'est pourquoi je suis favorable au projet de supprimer la pub sur les chaînes publiques) et au contexte de la mondialisation des medias et de l'absence de régulation concernant<br /> leur utilisation. Je ne suis pas du tout une spécialiste de la question mais peut-être sais-tu si des études existent sur ce thème en particulier ou si des débats se tiennent ?<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonjour Popylen. Tout d'abord merci pour l'intérêt que tu portes pour ce blog.<br /> <br /> <br /> Pour ma part, je ne sais pas si la suppression des publicités sur les chaînes publiques pourrait régler le problème. Une influence politique peut venir du privé comme du public. A la limite,<br /> l'indépendance télévisuelle me rassure plus qu'une gestion intégrale des médias par une institution publique. La télévision a toujours été orientée par le pouvoir en place, soit parce-qu'il y a<br /> connivence avec le secteur privé ou tout simplement parce-que l'Etat à la main mise dessus. Les médias représentent un énorme pouvoir dans l'ère de la politique-spectacle et il ne peuvent être<br /> neutre, politique et médias sont interconnectés voir interdépendants. Je pense que le financement privé est une bonne chose pour les médias parce-qu'il permet un divertissement (dans le sens d'un<br /> panel plus large) des programmes et des influences.<br /> <br /> <br /> Il y a très certainement des débats et de vraies études sociologiques sur le sujet de la télé-réalité. Je pense notamment à l'article de Gilles Segré intitulé La fabrication télévisuelle de<br /> la Star, ainsi que Loft Story la fin d'un monde, discours d'une société en mutation du même auteur. Il y a certainement bien d'autres références.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />